par Mekslow le 18 Fév 2009, 16:21
J'aimerais apporter ma petite contribution concernant le mystère entourant la mort de Tupac. Etant un grand fan, j'ai traqué jusqu'à la plus petite information sur le net, passé en revue le moindre DVD, lu tous les livres qu'il était possible de lire, dont notamment la seule et unique biographie existant à ce jour en français consacrée par Olivier Granoux aux éditions "instant-mag2". Que je conseille vivement au passage, l'auteur n'étant pas lui-même au départ un grand admirateur de l'artiste, son travail est marqué du sceau de l'objectivité.
Je tiens à vous retranscrire le chapitre qui nous intéresse ici, le copyright interdiant la diffusion de pages scannées. Bonne lecture, on débattera ensuite !
" QUI A TUE TUPAC ?
Un mystère jamais résolu
L'impossible s'est produit. Et personne ne sait rien, personne n'a rien vu. Une situation improbable qui semble convenir à beaucoup de monde. Retour sur l'un des plus gigantesques imbroglios policiers de l'histoire de l'Amérique.
La nouvelle de la mort de Tupac Shakur se répand comme une trainée de poudre. La foule se masse, toujours plus nombreuse, en bas de l'hôpital de Las Vegas. Quelques fans déservent respectueusement un peu d'alcool sur le sol en hommage à leur idole disparue. "Pour out some liquor", disait le titre avec les Outlawz. Etant donné le profil sulfureux du personnage, cette nouvelle n'étonne vraiment personne et cependant, personne n'ose y croire. Keisha Morris, l'éphémère épouse de 2Pac, se souviendra plus tard : "J'attends toujours que Tupac m'appelle. Je n'ai jamais pensé qu'il allait mourir. Je m'imaginais qu'il allait sortir de l'hôpital, comme il l'avait déjà fait autrefois."
Est-ce la pression des fans à l'extérieur, ou l'embarrassant fardeau que représente ce corps ? Toujours est-il que l'autopsie et les obsèques sont réglées au pas de course : 24 heures plus tard, il est incinéré, effaçant à tout jamais les traces, le corps, les preuves. Personne n'a ainsi eu le temps de voir la dépouille de Tupac. Aberrant, pour un meurtre aussi important et médiatique. Surtout qu'il faut en général trois jours de procédure pour être incinéré aux Etats-Unis. Dans le même ordre d'idée, il n'existe aucune photo, aucun invité connu pour témoigner sur la cérémonie de la crémation.
De multiples énigmes jalonnent ainsi la dernière soirée du rappeur, mais aussi les six jours qui le séparent de sa mort. Et si toutes les théories ne sont pas fondées, le terrible enchaînement d'erreurs, l'absence de preuves ou certaines réactions étranges tendent à prouver qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Avant de chercher un coupable, on peut d'abord s'interroger sur le rôle de la police.
Certes, elle n'est pas aidée. Absolument aucun témoin ne collabore au-delà d'un consensus commun se résumant à avoir vu "une voiture blanche, avec quatre personnes à l'intérieur". Personne n'a rien vu. Ville du jeu, Las Vegas est en 1996 une ville très surveillée, avec 80 caméras dispersées dans les rues et aux carrefours, sans compter celles des casinos. Et pourtant, aucune image de l'agression n'est disponible. Aucun témoin oculaire non plus, alors que Vegas vit surtout la nuit et que ses rues sont animées. De plus, Las Vegas est une oasis au milieu du désert : comment une Cadillac blanche peut-elle alors s'évaporer sans laisser aucune trace ? Pourquoi aucun hélicoptère ne s'est-il pas mis en chasse du véhicule après une agression aussi spectaculaire ? Où sont les passagers de la Cadillac ?
Cette dernière question connaît un éventuel début de réponse. La fusillade déclenche dans les jours qui suivent une douzaine de shootings entre gangs rivaux. Le 9 septembre, à East Alondra en Californie, un homme soupçonné d'être l'un des passagers de la Cadillac est abattu dabs le dos. Le 11, c'est Bobby Finch, un membre des Crips, pressenti par la police de Compton pour être aussi l'un des occupants de la voiture, qui est abattu à son tour. Les témoins éventuels disparaissent plus vite que l'enquête n'avance. "Les seules preuves tangibles que nous avons sont le nombre de balles tirées et les preuves physiques, comme le corps de Tupac, mais nous ne pouvons les révéler", annonce un laconique sergent, Kevin Manning, du service homicide de la police de Las Vegas. Lacunes, complot : le compte rendu du décès de Tupac a bien sûr été dérobé.
Las Vegas semble être un lieu totalement approprié au mystère. Dans une ville connue pour avoir des forces de l’ordre particulièrement corrompus (« A Las Vegas, tout s’achète », reconnaît le policier), Tupac aurait pu être attaqué avec une facilité déconcertante, voire acheter aisément sa propre mort et le silence qui va autour (sauf qu’il n’a pas d’argent à cette époque). Dans le documentaire Biggie & Tupac, on apprend que plusieurs policiers de la ville font des heures sup pour Death Row. Une absence de neutralité hallucinante pour ces flics ripoux qui tomberont plus tard pour… hold-up !
La police traîne donc la patte dans l’affaire. Plusieurs raisons à cela : d’abord, la haine anti-flic de 2Pac n’est sûrement pas une source de motivation à résoudre le crime pour la police de la ville, peu zellée sur l’enquête. Ensuite, la corruption orchestrée en ses rangs en général, et par Death Row en particulier, ne doit pas être officialisée, care elle aurait des retombées politiques. Le meurtre de 2Pac risquerait de faire boule de neige et on souhaité étouffer l’affaire au plus vite en haut lieu. Death Row, enfin, montre une application étonnante à ne pas collaborer. Le nombre de personnes pouvant souhaiter la mort de Tupac à ce moment-là est assez effarant.
Suspect n°1 : Orlando Anderson
Piste la plus probable car la plus logique. Suite à la correction reçue après le match de boxe, Orlando Anderson rattrape Tupac et, par vengeance, lui décharge son arme à bout portant. Un raisonnement simple, mais qui se tient, corroboré par la mort d’Anderson quelques mois plus tard. Le clan Tupac aurait organisé sa propre justice. Interrogé sur le sujet, le sergent Manning aurait rejeté cette hypothèse sous prétexte que le jeune Anderson était entendu par les membres de la sécurité de l’hôtel MGM après l’altercation dans le hall et n’aurait pas eu le temps matériel de retrouver la trace de Tupac. Ce qui reste à prouver, puisqu’aucun rapport de police n’a été dressé au sujet de l’altercation. La vidéo de la caméra de surveillance n’est en outre pas une preuve suffisante pour la police : une procédure « pas normale », selon Manning. On ignore de plus à quelle heure Anderson a été entendu, puis relâché. Ou s’il a pu commanditer à distance une opération.
Suspect n° 2 : les Crips
Un autre inspecteur, Chuck Cassell, déclare aux journalistes : « L’agression est en rapport avec une histoire de gangs. Un truc entre les Bloods et les Crips. Il suffit de regarder les pochettes de disque et les tatouages de Tupac, ce n’est pas un Jackson 5… Ca ressemble plus à vivre par l’épée, mourir par l’épée. » Une phrase que se plaisait à répéter 2Pac de son vivant, annonçant qu’il mourrait violemment avant ses 30 ans.
Nous l’avons dit, Orlando Anderson était un membre actif des Crips. Suge Knight était un ardent représentant du gang adverse, les Bloods. Tupac essayait tant bien que mal de se tenir à l’écart de leurs histoires, en équilibre instable entre chaque camp. Son contrat chez Death Row le rapprochait tout de même des Bloods. Son savatage en règle d’Orlando Anderson peut être considéré comme un acte guerrier envers le gang adverse, appelant une réponse en conséquence.
Une théorie plus vraisemblable, si les Crips sont réellement impliqués dans le meurtre, serait que la cible du gang n’était en réalité par Tupac, mais Suge Knight. Haut dignitaire des Bloods, il représentait une cible très symbolique dans la guerre des gangs. Cette hypothèse est renforcée par le fait qu’une semaine après la fusillade, trois membres des Crips sont retrouvés assassinés à Compton, la banlieue de Los Angeles, patrie de Suge Knight qui aurait ainsi fait le ménage et la justice lui-même. Le capitaine du département de police de Compton, Steven Roller, ne confirme pourtant pas l’affiliation des trois victimes au gang des Crips : « Cette allégation de la police de Los Angeles est infondée, c’est comme si un flic de Boston commentait un crime à New York. Il n’y a pas de corrélation avec le meurtre de Tupac. » Est-ce pour calmer les esprits et éviter une guerre ouverte des gangs ? En tout cas, même la police n’arrive pas à s’accorder sur l’affaire.
Un autre élément vient cependant compromettre encore l’idée que Suge Knight était la cible : tous les coups de feu ont été tirés côté passager de la BMW, doc il semble clair que Tupac était bel et bien visé. Une déclinaison de cette théorie serait alors que Tupac a été tué par les Crips en guise d’ultime avertissement à Suge Knight. Dans le code des gangs, il n’est pas rare de sacrifier un proche de la personne visée en réparation d’une faute commise.
Suspect n° 3 : le Gouvernement
Cette hypothèse un peu folle a été relancée par Nick Broomfield, le journaliste anglais ayant enquêté sur le meurtre de Tupac. Dans son film, Biggie & Tupac, il confirme effectivement que le FBI surveillait de près les deux rappeurs depuis 1993. Cette hypothèse voudrait que Tupac, fort de ses nouvelles orientations, de son pouvoir économique potentiel, de son charisme, de ses origines Black Panthers, et de ses ambitions politiques, symbolise une menace pour le gouvernement en place. Porte-voix d’une génération, dénonciateur dans ses textes des problèmes sociaux, il représentait une influence néfaste contre le système politique établi. Cependant, cette théorie reste bien trop exotique et même Nick Broomfield la délaissera en cours de route dans son reportage.
Suspect n° 4 : Notorious B.I.G. et Puff Daddy
Une autre théorie tout aussi fantaisiste (mais tellement romantique pour faire vivre la légende), serait que la Côte Est, excédée par les attaques verbales de 2Pac, ait décidé de lui faire payer le prix fort en le supprimant. Puff Daddy et Notorious B.I.G. ont toujours nié toute implication dans la fusillade de 1994. Puff Daddy enverra d’ailleurs ses « plus profondes condoléances » à la famille Shakur à la mort du Don.
Il y a quelques années, un journaliste du L.A. Times a publié un article affirmant que les balles ayant tué 2Pac provenaient d’une arme ayant appartenu à Notorious B.I.G. Aucune preuve formelle. Le journaliste Chuck Phillips continue de clamer que Biggie aurait payé par les Crips pour se débarrasser de son adversaire. Peu probable, Biggie déclarant après la mort de 2Pac son atterrement face à une telle situation. Mais aussi rocambolesque qu’elle puisse paraître, cette thèse est relancée six mois plus tard, lorsque Notorious B.I.G. est assassiné à son tour dans des conditions similaires à celles de 2Pac. Une fois encore, difficile de dire si ce meurtre repose sur un motif fondé, s’il fut prémédité par le coupable initial pour détourner les médias et lancer la police sur une belle fausse piste.
Suspect n° 5 : Suge Knight
De toutes les hypothèses possibles, nombreuses sont celles qui ramènent le patron de Death Row au centre du débat. Selon le New York Post, le 25 septembre, soit douze jours après la mort de Tupac, le FBI perquisitionnait les bureaux de Death Row pour chercher des preuves de ses implications avec le crime organisé. Ses incartades tumultueuses avec les gangs ou avec la Côte Est, ses relations privilégiées avec des policiers ripoux et son goût prononcé pour les méthodes mafieuses donnent à Suge Knight un profil relativement adéquat de coupable idéal. Mais aucune preuve tangible ne peut être retenue contre lui. Restent quelques faits étranges à l’actif de Death Row et de son patron.
D’abord, sur les treizes coups de feu tirés, pas un seul n’a touché Suge Knight. De plus, alors qu’un véritable cortège de voitures remplies de lascars suit la BMW de Suge Knight, pas une seule ne prendra en chasse la Cadillac blanche. D’ailleurs, pourquoi les gardes du corps, pourtant entraînés pour cela, n’ont-ils rien vu ? Ils avaient été relégués dans les véhicules les plus éloignés de 2Pac… Moore, le garde du corps resté au club 662, affirmera avoir entendu sur la radio de Reggie Wright Jr à l’heure des coups de feu, un lapidaire : « Got him » (on l’a eu).
Le magazine américain Rolling Stone accréditait la thèse d’un meurtrier faisant partie de la police, mais payé par Suge Knight. Au volant de sa voiture, Knight se bâtissait ainsi un alibi en béton armé. Son empressement à faire ensuite disparaître officiellement la dépouille de 2Pac (incinéré en 24 heures) ne plaide pas spécialement en sa faveur.
Outre un plan parfaitement rodé, manigance par un habitué du genre, et un alibi automatique, Suge Knight possède surtout face à cet assassinat un mobile valable. Lassé des méthodes de Death Row et porté par son ambition, Tupac comptait vraiment quitter le label de Suge Knight pour voguer sur le sien. Son départ aurait été désastreux d’un point de vue économique pour le label californien. Par contre, la mort de 2Pac assure à Death Row l’héritage musical et commercial du rappeur. Comme pour aggraver un peu plus son cas, les policiers Russell Poole et Kévin Hackie (un ex du FBI également garde du corps de Tupac), certifient que Knight devait payer plusieurs millions de dollars de royalties au rappeur et tardait à le faire, ce qui ne manquait pas de rajouter un peu de tension supplémentaire entre eux. La mort de Tupac permettait alors à Knight non seulement d’économiser de l’argent, mais aussi d’en gagner.
Un plan cruel, extrême, mais potentiellement séduisant pour le personnage. Et Hackie d’enfoncer le clou : « Je n’oublierai jamais le regard de Suge Knight et Reggie à l’hôpital. En 17 ans de service dans la police, j’ai croisé quantité de coupables et le regard de Suge, l’expression sur son visage quand nos yeux se sont croisés, je l’ai croisée tant de fois que je la reconnais parfaitement. Ces salauds étaient dans le coup, je n’ai aucun doute là-dessus. » Même si ses propos n’engagent que son auteur, un regard n’étant pas une pièce à conviction très objective, l’omerta orchestrée par Death Row n’a rien arrangé. Pas de témoins, un silence entendu avec la police, se bornant à répéter que personne n’avait rien vu. Le seul à s’être affranchi de cette intrigue est Yafeu Fula, membre des Outlawz, sous le pseudonyme de Kadafi. Très proche de Tupac, dont il est un cousin éloigné, il a affirmé pouvoir identifier le conducteur de la Cadillac. Etrangement, la police ne retiendra pas son témoignage. Il sera tué deux mois après le meurtre de Las Vegas, emportant à 19 ans ses secrets dans la tombe.
Enfin, aux vues de l’imbroglio que représente l’enquête et surtout face à l’épidémie de mort subite ayant emporté les acteurs et les témoins, Suge Knight semble être le seul à pouvoir exercer un contrôle sur toutes les parties à la fois. Il est à l’intersection de toutes les branches de cette histoire. La seule certitude face à tous ces événements reste que la police et Suge Knight ont chacun joué un rôle bien trouble.
Même la seule photo de Tupac mort, ramenée par Cathy Scott, pose débat. Scott avouera en effet un peu plus tard avoir payé un policier pour se la procurer. L’authentification du cliché reste donc impossible…
A ce jour, aucune arrestation n’a eu lieu, le détective chargé de l’enquête en a été destitué et l’affaire est toujours au point mort. Tupac, qui adorait la vie de gangster, s’est offert une mort de roman policier, nimbée d’un mystère opaque. De quoi alimenter sa légende pour l’éternité."