Diam’s ou le rap de centre droit
Un album de rap français médiocre qui se respecte contient toujours une ou deux chansons « à émotion ». Tristes ou engagées, se voulant les deux à la fois, elles sont habituellement bercées par de belles nappes de violons mélancoliques et autres notes de piano stéréotypées. Car le rappeur limité, conscient qu’il faut varier les ambiances, met arbitrairement et artificiellement un peu de tout afin de faire croire que son univers est complexe et sa sensibilité multiple. La vérité c’est qu’il plonge la tête la première dans le convenu, le passage obligé, et assemble le maximum de préjugés et stéréotypes musicaux avec l’intention d’éblouir l’auditeur par « la pureté » et « l’intensité » de son « message ». Le résultat est un kitch mielleux sans saveur qui ne peut émouvoir que ceux qui ont construit leur sensibilité en regardant des sitcoms, une philosophie de comptoir simpliste voir franchement réactionnaire.
Récemment en voulant consulter mes mails je tombe sur une invitation de mon serveur qui me propose de regarder le clip du nouveau morceau de Diam’s « engagé » Ma France à moi. Première chose, je souris en pensant aux commerciaux de la maison de disques et à tous leurs partenaires qui profitent de la médiatisation du débat politique en ce début de campagne électorale pour vendre leur marchandise en surfant, décomplexés, sur la vague d’un prétendu engagement. J’écoute par curiosité et je suis servi. Le morceau est construit sur une figure rhétorique convenue qui oppose la France de la poétesse « sa France » à l’altérité de « la France profonde ». Admettons mais analysons en quoi consiste « SA France ». La narratrice invite son auditeur dans une communauté de gens qui est la sienne et qui est censée vivre d’une certaine manière avec un ensemble de valeurs communes. Les images choisies sont véridiques pour la plupart mais clairement exposées pour créer une affinité, une empathie positive et valorisante pour l’auditeur. Dès le début du morceau le ton moralisant et moralisateur est donné, « sa » France est celle qui fume un peu de shit mais qui refuse la drogue dure véhiculant l’idée implicite que « la drogue c’est mal ». Réflexion simpliste empreinte de morale religieuse qui veut que notre corps ne nous appartienne pas mais appartient à Dieu et doit « rester pur ». Passons. La suite est une accumulation populiste de clichés. Je vois déjà venir la défense de l’auteur : « je connais mon public, il m’écrit, je suis proche des gens, tout ce que je dis est vrai ». Ce n’est pas faux mais il faut s’interroger sur les univers imaginaires que l’on invente et le sens qu’ils véhiculent. Lorsque Diam’s parle de la jeunesse qui « travaille par msn » et qui veut devenir Tony Parker ou Fifty Cents elle ne remet pas cet état de fait en question, au contraire, en généralisant elle le cautionne voir elle le sublime. Au final elle dit à ces jeunes « c’est ton mode de vie ? Ne t’inquiète pas je te comprends et tu fais parti des gentils » sans se poser de questions sur la mainmise des grandes firmes et de la consommation sur nos modes de vie. Elle énumère les noms de grandes multinationales de la malbouffe, du textile fait par des enfants du tiers monde, de la culture jetable (« KFC, MTV Base, Foot Locker, Mc Do ») non pour les accuser et remettre en cause leur pouvoir mais pour décrire de façon positive la communauté de gens qui sont leurs clients et, bien sûr, que Diam’s représente. Elle n’émet pas de regrets, elle ne dérange pas les cadres de la société : elle justifie et elle légitime. Elle dit « je représente la France d’en bas où certains gamins veulent devenir Tony Parker » sans se demander pourquoi les gamins ne veulent pas devenir Salman Rushdie ou Spike Lee, sans se demander pourquoi l’idéal de notre société est d’être un sportif riche et célèbre. Au final on a l’impression d’entendre un esclave qui veut tout faire pour être aimé de son maître tortionnaire en disant que, quand même, les esclaves sont gentils. Le mécanisme de sa chanson traduit un mélange de la dialectique Hégélienne du maître et de l’esclave et une variante du complexe du colonisé. Au lieu de se révolter Diam’s conforte le public dans son ignorance et pense notre société avec les grilles de lecture de la société elle-même.
A la fin du texte le ton monte et on parle enfin de l’ennemi, de « eux », « l’autre France », les méchants finalement. Là encore une somme de préjugés et un « celle qui vénère Sarko » qui donne le sentiment à Diam’s de façon perceptible (le comble du pathétique) qu’elle est engagée et militante. Et puis il y a les rimes explicitement réactionnaires et conservatrices (exemples : elle condamne « qui (…) met ses propres parents à l’hospice », (et oui le respect des aînés !), valorise celle qui « (…) sait gérer une entreprise » ou « a des valeurs, des principes ») . « La France » de Diams est aliénée et manipulée, ses désirs et ses aspirations sont le fruit direct de la société de consommation. On sent le désir d’être respecté, de montrer le peuple sous un jour favorable alors on multiplie les clichés positifs qui confortent les élites bourgeoises.
« Avec des bons sentiments on fait de la mauvaise littérature » prévenait André Gide. C’est ce qu’ont compris des auteurs aussi différents que Céline ou Hubert Selby Jr en exprimant, avec les modalités de la parole populaire, la crasse et la noirceur de l’existence coincée dans les bas-fonds. En focalisant sur l’extrême, la cruauté sociale à l’état pur, Selby éclaire le champ du possible sans porter de jugement moral et dérange la société à travers le malaise de chaque lecteur. Chez Diam’s personne n’est dérangé, ni le peuple qui peut continuer à se vautrer dans l’individualisme et accepter la matrice joyeusement, ni les élites qui y voient le mythe du bon sauvage et se félicitent de trouver admis les principes aliénants qui concourent au maintient de l’ordre et de leurs privilèges . L’auteur porte une grave responsabilité car sa chanson est franchement de droite alors qu’elle prétend le contraire. Elle fait passer des valeurs conservatrices pour de l’engagement progressiste aux yeux d’une jeunesse abrutie. C’est très grave et les journalistes bobo qui relayent l’information sont tout aussi coupables. La France de Diam’s ? Une esclave attachée au fond d’une cave qui pense que son maître n’est pas si méchant et qu’il va arrêter de la maltraiter si elle lui montre qu’elle est un être humain comme lui. Ce que semble ne pas comprendre l’auteur c’est que le maître s’en fout, au mieux il abusera de sa France, la violera, en feignant le respect, ce qui annihilera d’autant plus tout sentiment de révolte. Chère Diam’s (je parle aussi à tes confrères ) avant de prendre la responsabilité de l’engagement il faut un minimum de réflexion, ce petit quelque chose qui te permettrait de voir que l’oppresseur ne nous respectera pas avant d’avoir le crochet de nos chaînes planté dans la jugulaire.
E.ONE
Auteur, poète, E.one est le Mc du groupe « Eskicit » (album Immortel dispo sur
www.bboykonsian.com)
www.myspace.com/eskicit